Dans cette série, Gonzalo Bénard explore une nouvelle fois la connexion que nous avons avec la nature, ou plus exactement, révèle un lien que nous avons depuis longtemps oublié.
La puissance effective d’une pierre, la véritable réalité de la rivière, la force du monde élémentaire, telles sont les énergies avec lesquelles l’artiste travaille pour les rendre visibles et tangibles. La genèse de ces ‘Méditations des pierres‘ est particulièrement inspirante et Gonzalo nous a donné un magnifique aperçu de son œuvre, de sa signification et de son intensité :
« Je collectionne les pierres ou les gros galets, que je trouve sur une plage à proximité, de ces pierres arrondies et façonnées par l’océan dans toute leur diversité naturelle. Toute la journée sous le soleil, lavées encore et encore par les vagues de l’océan, toute la nuit sous la lune, elles sont incroyablement chargées de l’énergie la plus pure et la plus puissante de la nature.
Un jour, mon élève, tourmenté par des problèmes liés à son passé, me posa une question simple : “Comment peut-on surmonter les obstacles ?”.
J’ai alors commencé à le guider à travers la méditation, la méditation transcendantale, pour que nous puissions apprendre de notre silence intérieur. Après un certain temps, je me suis levé, et j’ai étalé au sol ces papiers épais que l’on utilise pour la peinture. Et j’ai apporté les pierres, je les ai empilées à côté de nous. Je lui ai demandé de se coucher sur les papiers pendant que je préparais l’encre de Chine et le pinceau japonais.
L’encre de Chine est faite avec des éléments naturels et, du fait de sa fluidité, elle coule incroyablement bien, comme les eaux d’une rivière. La brosse japonaise peut se charger d’une grande quantité de matière, que l’on peut doser en ajustant la pression que l’on exerce. Toujours en méditation, je me suis concentré sur son corps, à la recherche d’un obstacle physique : ses poumons étaient à l’étroit dans sa petite poitrine, ce qui rendait sa respiration difficile. Puis, je me suis concentré sur les pierres, j’ai choisi celle qui me semblais avoir le plus d’énergie, et je l’ai posée sur sa poitrine. Et en prenant les pierres une par une, je les ai placées là où elles me conduisaient. Une sur sa main, une autre sur le papier à côté de sa poitrine, et une autre encore, j’ai mis toutes les pierres sur lui et autour de lui. En faisant cela, je lui transférais l’énergie des pierres, en état de méditation, opérant une pratique de guérison chamanique.
Quand cela fut fait, je lui ai dit que nous pouvions toujours trouver les meilleures réponses de la nature elle-même si nous prêtons attention à elle. Et pour surmonter les obstacles, nous pourrions simplement regarder une rivière, et comment elle surmonte ses propres obstacles en les embrassant et en les laissant s’en aller. Plus que cela, en les embrassant, la rivière polit les obstacles de sorte que les eaux ont ensuite à faire de moins en moins d’efforts pour les surmonter, éclaircissant le chemin derrière elles. En embrassant les obstacles, nous acceptons leur propre existence, nous ouvrant à ce qu’ils ont à nous apprendre, pour grandir, devenir plus fort, avancer.
Quand je plaçai la plus grosse pierre sur sa poitrine, pour un moment, il eut le sentiment que le monde entier y reposait. Poids qui devient l’énergie qu’il avait absorbée, libérant un nouvel espace, renouvelant et recyclant l’énergie sur sa propre poitrine.
Après avoir préparé l’encre dans un grand bol selon le déroulement du rituel, je mis le pinceau japonais sur ma main comme si elle était une partie naturelle de mon bras, de sorte que l’encre de Chine puisse couler comme mon propre sang, qui était maintenant une rivière… Je devins alors moi-même une rivière et lui était l’obstacle. J’ai donc commencé à couler tout autour, simplement guidé par mes sens, suivant les énergies, embrassant les pierres et le corps couché sur le papier qui était au sol. Rivière, j’ai rencontré des obstacles plus faciles, d’autres plus résistants. Certains plus difficiles à embrasser ou à polir. Mais je laissais aller. Si la rivière ne pouvait pas couler d’un côté, elle pouvait revenir en arrière et passer par un autre côté. Nous expérimentons la vie jusqu’à ce que nous la laissons couler de la meilleure façon. En créant de nouveaux chemins, quittant de nouveaux sentiers, embrassant les obstacles et les abandonnant.
Cette guérison chamanique a pris un certain temps pour nous permettre à la fois d’apprendre et de sentir, de sentir et d’apprendre. Il était terre, j’étais eau. Et en équilibrant les éléments, nous sommes devenus aussi feu et air.
Il s’agissait aussi d’une performance privée en méditation. Un moment d’apprentissage avec la nature, les uns avec les autres. Partageant les éléments, nous guérissant du fait d’être nous-mêmes des pierres et des rivières. En étant nous-mêmes des corps vivants.
A la fin, je ramassais les pierres, et quand je repris la grosse pierre de sa poitrine, je repris aussi le poids qu’il ressentait, lui permettant de respirer avec des poumons dilatés par la chaleur du feu. Il avait embrassé et surmonté ce qui plus tôt était un obstacle. Depuis lors, il n’a plus jamais eu de problèmes pour respirer car sa poitrine s’était élargie.
Quand tout le processus fut terminé, je pris la caméra et pris des photos pour garder une trace et pouvoir partager avec ceux qui se demandent souvent comment surmonter les obstacles. »
Finalement, Gonzalo Bénard a créé cette série de photographies et de peintures. L’encre de Chine noire comme souvenir d’un corps, le rouge comme souvenirs d’un obstacle qui n’existe plus. En rééquilibrant les éléments qui sont en nous, en devenant eau, air, terre et feu, en acceptant et embrassant les obstacles, en devenant une rivière, nous pouvons faire l’expérience de notre pouvoir intérieur. Comme le dit très bien Gonzalo :
« A la fin, il était guéri, et nous ne faisions qu’un avec la nature. »