لايعني التقدم اتساع الامتلاك ، انما العيش باتساع. غاندي (“ Le développement, ce n’est pas avoir davantage mais être davantage”), Gandhi.
Rythme, souffle, équilibre : ce sont pour moi les trois mots qui définissent l’art de Hassan Massoudy.
Regarder ses calligraphies, c’est comme voyager dans un lieu que l’on connait bien, mais que l’on n’avait jamais vu ainsi avant : on se sent comme chez soi, mais avec une sensation supplémentaire de clarté et d’acuité. Et un peu comme un voyage, on peut passer des heures à se perdre dans les lignes, à suivre les courbes, rêver des couleurs, à la recherche de l’invisible qui se cache derrière le mouvement qui s’allège de loin en loin.
Dans Calligraphies d’amour (Albin Michel, Paris 2004), Hassan Massoudy évoque ainsi ce qui le meut dans son processus créatif :
« Cette recherche de la forme juste est celle d’un point d’équilibre où se rencontre le tout : le poids montant sans retomber, la dynamique ne brisant pas la forme, la lumière passant à travers la couleur, l’espace s’insinuant derrière la forme, l’épuration sans appauvrissement, l’abstraction sans perte de l’image, le sens des mots, le désir du calligraphe. C’est enfin se construire soi-même avec chaque calligraphie et se perfectionner grâce aux matériaux. La construction géométrique de la forme doit être d’une grande simplicité.
Si le point d’équilibre exact n’est pas atteint, si c’est l’échec, on découvre alors ses propres limites, son humanité et la fragilité de l’être. La calligraphie peut devenir un indicateur de cette absence de centre, de ce déséquilibre. Cette expérience devient alors connaissance de soi et même peut-être évolution si, à l’instant on se relève pour recommencer.
Nouveau départ, mais quel choix ? Ralentir pour mieux maîtriser la rapidité ou accélérer pour mieux cueillir les fruits de l’impulsion ? Il ne faut pas perdre l’essentiel. Si les anciennes techniques font barrage, il faut les bousculer et en inventer d’autres ou s’inspirer des autres arts, écouter le rythme de la musique ou regarder le mouvement de la danse. La parole du corps est comme un oiseau dans l’espace, mais comment planer avec liberté sans tomber ? Il faut beaucoup d’énergie pour vaincre la gravité et trouver les sensations physiques de l’espace. Ma calligraphie doit refléter son appartenance à ce monde. Celui-ci vit à l’heure de la vitesse. De la vitesse de cette fusée qui a permis à l’homme de dépasser la loi de la gravité et lui a donné la possibilité de marcher sur la lune.
Quand j’estime mon geste juste, le conflit intérieur n’existe plus, même si cela ne dure que quelques instants. C’est un moment de joie où l’alphabet n’est plus l’instrument de la raison mais une attitude d’écriture, une sensation pure qui va rencontrer facilement le poète qui, sans doute lui aussi, est passé par le même cheminement. Cette calligraphie reflète mes visions du monde, elle devient le désir que le monde soit ainsi une nouvelle harmonie et une nouvelle liberté.
Les contradictions plastiques sont le reflet de la contradiction de la vie. En réalité, le point d’équilibre n’existe pas : Le monde n’est qu’une harmonie de tensions, nous dit Héraclite. Toute cette expérience n’est qu’une évolution et il n’y a pas d’évolution sans échec. La calligraphie est comme tous les arts, l’expression du bonheur et de la souffrance s’y côtoient. Faire et défaire, et ainsi grandir après chaque expérience. En face d’une impulsion tragique, la calligraphie impose une retenue et un contrôle qui permet d’apprivoiser les troubles. On devient maître de soi pour un moment. Quand le mot est léger et s’envole, le regard s’oriente vers le haut et se déplace en suivant la trajectoire du geste. Intuitivement, je perçois la calligraphie avec une autre échelle que celle des limites du papier. Elle y gagne en spatialité. Les gestes du calligraphe deviennent un espace ouvert, accueillant les mots du poète et l’imaginaire du contemplateur. »