Créée dans un état de complète vacuité de l’esprit, dans un souffle, comme un éclair, cette calligraphie – ou Shodo – naît du calme le plus profond. Elle a la force d’une révélation, d’un jaillissement : Hiroshi Mehata plonge à l’intérieur du cœur humain et rend visible dans son oeuvre ce qui est là, caché et enfoui.
Le mouvement en forme de dragon traduit le flux d’énergie – que les anciens sentaient et appelaient « dragon ». Mehata saisit ce même mouvement d’un geste sans contrôle et révèle ainsi la force explosive du moment présent . « En fait, je crée à partir d’un état d’esprit vierge, ce qui accroît la réceptivité de tous les sens. Cela semble une expérience agressive et violente mais c’est au contraire un état mental de très grand calme », explique Mehata.
« Noum » (能夢) est le concept central de son œuvre. Le mot signifie « le bruit d’un épais brouillard » et il symbolise le Chaos que crée notre mémoire et qui provoque des malentendus et de fausses interprétations.
Le « Shadow Noum » – le Shodo – est la traduction de ce que nous avons dans notre cœur, ce qui est invisible mais sur lequel repose chacune des interprétations que nous faisons de la réalité.
Certains l’appellent Kegare※, il est aussi connu sous le nom de « Kami » et de « Kotodama » , qui signifie « pas clair » – une âme impure, des pensées négatives. Pour les Japonais, il est considéré comme la cause de phénomènes naturels, du malheur ou de la mort. Mais en même temps, il peut désigner un état pur, des pensées positives, voire le sens même de l’Univers. Noum évoque soit le propre, le saint, le sacré, soit l’impur, la rancoeur, la méchanceté – Aura ou Esprit, Dieu ou Kegare. L’essence de son énergie est identique, tout comme les deux faces d’une même médaille. Mehata ajoute : « Il n’existe pas d’absolument pur ni d’absolument impur dans le monde. Tout est lié à un certain état d’esprit ». C’est exactement le mouvement de notre esprit, la « coloration » dont nous teintons tout ce que nous voyons : une image de l’état de notre mental.
« La poursuite et l’expression de l’essence des malentendus vécus par les gens constitue le principal intérêt autour duquel tourne ma création », déclare Hiroshi.« Pour moi, l’essence du malentendu est une image (la fausse impression, personnelle et générale, que les gens ont sur ce qui les entoure) qui est attachée à tout ». La réalité n’est pas perçue telle qu’elle est, mais vue à travers cette « coloration » créée par une connaissance accumulée et stockée dans notre esprit et dans notre mémoire. A grande vitesse, ces informations en chaînes se combinent de façon infinie et forment des images : images de soi, images de la réalité, images de tout ce qui nous entoure. « Noum » est ce qui symbolise le bruit chaotique né de la chaîne de ces images qui se répandent comme du brouillard. Des modèles culturels et des croyances de toutes sortes ont été stockés dans la mémoire des gens depuis longtemps, de sorte que ces informations sont pour la plupart inconscientes depuis l’origine. Hiroshi Mehata, à travers son art, rend visibles ces mécanismes dont Peter Ralson, maître en art martial et en développement intérieur, dirait qu’ils nous « tiennent éloignés de l’origine de notre être » (Le Livre du Non Savoir, The Book of Not Knowing, North Atlantic Book, Californie, 2010 , p.150).
En donnant la version visuelle de ce qui est en fait du bruit ou une altération de la réalité, l’artiste invite à jouer la musique de ce qui est à l’intérieur de cette zone de stockage inconscient. Mehata le présente ainsi : « Je souhaite que les gens interagissent avec ce qui est stocké dans leur propre esprit en communiquant avec leurs émotions intérieures par l’entremise de mes oeuvres ». « Noum » d’Hiroshi Mehata est la traduction visuelle de débris sonores, la facette visible d’un concept artistique plus large. L’artiste tente de libérer l’expérience synesthésique que chaque individu peut faire et de donner à cette musique intérieure une expression visible.
D’une certaine façon, ce Shodo est une musique rendue visuelle et un tableau de l’altération inévitable du réel que notre esprit crée.