Le Sutra du coeur était à l’origine d’un ensemble très court de versets, fut transmis en privé à Sariputra, un des proches disciples de Bouddha. Au fil du temps, le Sutra du Coeur est devenu l’un des enseignements fondamentaux du bouddhisme.
En tant qu’artiste chinoise, Han Zhang a pratiqué la calligraphie chinoise traditionnelle à l’école comme il l’était demandé à la plupart des enfants de sa génération qui ont grandi en Chine.
« Quand un enfant pratiquait la calligraphie, on lui donnait souvent un ancien poème ou un script bouddhiste à copier. Le Sutra du cœur est un manuscrit bouddhiste très connu et célèbre, et il a également été le premier script que j’ai écrit quand je pratiquais la calligraphie », explique t-elle. « A cet âge, je n’avais aucune compréhension de la signification du script. En grandissant, j’ai continué à pratiquer la calligraphie et à chaque fois que je recopiais le texte, j’apprenais quelque chose de nouveau. Le sens du manuscrit a évolué au fil de mon évolution d’être humain et de mes élans artistiques. Mon art est centré sur la question de la langue, de l’interprétation et de la traduction. Pour moi, la langue est à la fois une composante intime de moi-même, ainsi que la cristallisation de la connaissance et de la sagesse du monde. Tout texte classique contient un monde en soi, et notre relation au langage exige qu’il soit interprété et débarrassé du monde qui se cache derrière les mots ».
Pour son « En récitant le Sutra du coeur », Han tout en le méditant recopia le texte bouddhiste du Sutra du coeur sur une longue feuille de papier fait main et, comme elle le dit, essaya de faire corps avec l’esprit du texte. Mais en écrivant chacun des mots, elle s’aperçut que « chaque symbole ne pouvait porter la pleine signification de ce qu’il signifiait ». Pour trouver la vérité du Sutra du cœur et de sa sagesse, il fallait aller au-delà des mots écrits : ainsi, Han les a déstructurés et re-configurés en quelque chose de nouveau. En ce sens, son œuvre interroge les limites du langage dans la transmission de la spiritualité du sens et la possibilité de l’interprétation : « Le sens n’existe pas dans un seul mot, mais entre les mots. Il y a toujours des écarts entre ce qui est lu et ce qui est compris ».
« En récitant le Sutra du coeur » superpose les différentes interprétations accumulées au fil des années et marque l’évolution de sa compréhension du texte. Han Zhang décrit ainsi l’ensemble du processus :
« D’abord, je l’ai recopié méticuleusement comme je le faisais enfant quand je pratiquais la calligraphie. Cette étape représente ma compréhension initiale de la langue à un niveau superficiel du sens. Dans un deuxième temps, j’ai déchiré la calligraphie en petits morceaux, comme si j’étais perdue dans le vaste sens du texte. Enfin, j’ai essayé de recomposer toutes les pièces fragmentées en une pièce à nouveau entière, qui corresponde à ma recherche personnelle du sens du texte – cette fois, une interprétation plus profonde et une connexion plus intime à l’esprit du manuscrit. L’œuvre finale représente à la fois la fragmentation du sens et son intégrité, maintenus ensemble par l’esprit de la langue qui est ambigu et subjectif par nature ».
Ce travail est construit tout entier sur le caractère insaisissable de la signification et, avec ce texte en particulier, sur l’irréductibilité de sa sagesse, impossible à embrasser par le langage. Ce faisant, cette oeuvre est une tentative pour exprimer au-delà des mots et de la saisie mentale, un sens que l’on doit vivre et expérimenter. Elle se rapproche d’une vérité qui se trouve entre les lignes, une totalité et un dépassement de cette totalité. Les calligraphies qui en résultent ne sont fragmentées qu’en apparence. Au-delà du vu, on peut appréhender l’autre rive, ce dont il est précisément question dans le Sutra du cœur : perdre le sens des mots pour avoir accès à un monde plus profond – dont l’art nous ouvre la voie -, à une vérité plus profonde. Le titre lui-même exprime le pouvoir d’actualisation de l’œuvre: « En récitant le Sutra du coeur » est en soi l’acte même de réciter, c’est-à-dire d’abandonner la volonté de comprendre et de s’ouvrir à un au-delà, en essayant de dépasser la fragmentation pour trouver l’unité, où sujet et objet n’existent plus.
« En récitant le Sutra du coeur », encre sur papier, 12″ x 98″, 2013